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Hadopi:Remarques sur la contestation du droit d'auteur

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Hadopi:Remarques sur la contestation du droit d'auteur Empty Hadopi:Remarques sur la contestation du droit d'auteur

Message  Dialink Jeu 2 Juin 2011 - 20:19

Cet article a été pris sur http://electronlibre.info

Les Labs de l’Hadopi ont été conçus comme un vaste think tank à ciel ouvert sur cinq thématiques, de la gestion des réseaux à la philosophie du droit. C’est ce dernier point qui nous occupe ici, avec une contribution fort intéressante du philosophe Serge Champeau. Ce long article, dense mais pas sans une certaine dose d’ironie et d’humour.

Les contributions et débats au sein de ce groupe de travail reflèteront sans doute la diversité des participants (philosophes, sociologues, etc.).
Je ne vois qu’une limite à cette diversité, dont je voudrais dire quelques mots en guise d’introduction.
Il me semble que ces contributions et débats ne seront féconds que si, dans leur rapport au droit existant (le vaste corpus de lois internationales, européennes et nationales s’appliquant directement ou moins directement à Internet, sans oublier l’immense jurisprudence), ils rejettent deux attitudes : la révérence (qui revient à renoncer à toute critique des concepts juridiques) et l’arrogance (dont la forme la plus bénigne est l’ignorance, et la plus grave le rejet de tout le corpus juridique existant, qui ne peut que marginaliser la réflexion en la renvoyant du côté de l’utopie).
La deuxième de ces attitudes, l’arrogance, me paraît le danger principal. Il est fréquent de lire, chez certains théoriciens d’Internet, des proclamations qui témoignent non seulement d’une ignorance profonde du droit mais d’une manière de trancher a priori une question, sans voir que celle-ci est en fait empirique. C’est le cas, par exemple, de la proclamation selon laquelle le phénomène Internet serait tellement nouveau qu’il échapperait au droit existant, qu’il rendrait inadéquates toutes les catégories de celui-ci (le droit de propriété, par exemple). Dire cela, comme le fait Perry Barlow (« vos concepts juridiques de propriété (…) ne s’appliquent pas à nous »), c’est ignorer que le droit débat depuis des années de l’application de ses catégories au phénomène nouveau qu’est Internet et fait évoluer celles-ci. En témoignent, par exemple, en France, les débats juridiques autour du concept de para-contrefaçon, dont le nom même témoigne de la volonté, dans le droit français, de ne pas faire rentrer les phénomènes nouveaux dans le lit de Procuste des catégories anciennes (on trouvera un bon exposé du concept de para-contrefaçon dans S. Caron, Droits d’auteur et droits voisins, Litec, pages 467 et suivantes).
En d’autres termes : la philosophie (pour ne parler ici que de ma discipline), qui se nourrit de ce qui n’est pas elle-même, ne peut être effective, avoir une quelconque chance de participer à la transformation du réel, en l’occurrence de nos pratiques relatives à Internet, que si elle aborde le droit avec respect (mais sans révérence) et critique (mais sans arrogance).
(Je précise, à l’attention d’éventuels lecteurs juristes, que je ne suis pas juriste, même si je lis les juristes. Si dans la suite du texte il y a des erreurs dans la compréhension des concepts juridiques, que mes lecteurs me les signalent : nous gagnons tous à être réfutés).
Deux tâches possibles

Je vois, du point de vue qui est le mien (celui de la philosophie, telle que je la comprends), deux approches possibles de nos contributions.

- (a) La première est la plus proprement philosophique, la plus difficile et celle qui doit être menée au plus près des textes et des pratiques juridiques. Elle consiste, en étroite collaboration avec les juristes, à questionner, en vue de leur clarification, certains concepts juridiques qui sous-tendent la régulation actuelle des pratiques sur Internet.
Prenons quelques exemples. Le droit d’auteur (qui n’est pas le seul en question, lorsqu’il s’agit d’Internet, puisque les droits voisins, au sens juridique de ce terme, sont concernés aussi) met en œuvre, pour justifier son existence, un certain nombre de concepts (celui d’utilité, par exemple, au sens où Hugo déclarait que ce droit était « d’utilité générale »). Et le droit d’auteur français, qui a la forte spécificité d’être à la fois un droit moral et un droit patrimonial (au sens technique que le droit donne à ces termes), fait intervenir, dans la définition du droit moral, des concepts fondamentaux : l’œuvre doit être protégée quand elle est originale, c’est-à-dire exprime une personnalité, et ce qui doit être protégé en elle est la forme, non le contenu, etc. Utilité, originalité, personnalité, forme, voici quatre concepts, parmi d’autres, qui sont souvent loin d’être explicites et qui font d’ailleurs l’objet d’âpres débats entre juristes (voir le livre de C. Caron cité).
Je pense que les philosophes peuvent contribuer à l’éclaircissement de ces concepts et de bien d’autres, à une condition : ne pas oublier qu’il s’agit de concepts juridiques (orientés vers l’action) et non de concepts philosophiques (orientés vers la connaissance). Il serait naïf d’aborder le concept juridique de forme, par exemple, d’un point de vue strictement philosophique (comme pourrait le faire un spécialiste d’esthétique, pour récuser par exemple l’opposition de la forme et du contenu), car ce concept a une fonction précise dans la régulation des relations entre auteurs, lecteurs et éditeurs. Il en va de même du concept de personnalité ou de celui d’originalité. Ceci dit, le philosophe peut intervenir, en mobilisant la riche tradition philosophique de réflexion sur ces concepts (celui de personnalité en métaphysique, ou de forme ou d’auteur en esthétique) pour contribuer à faire avancer le débat juridique (sans jamais perdre de vue qu’il est impératif de rester sur le terrain juridique, même s’il faut faire un détour par le terrain philosophique).

- (b) La seconde tâche est moins philosophique (elle est commune aux philosophes, historiens, sociologues, psychologues, etc.), plus facile, et peut être menée à une plus grande distance du droit.
Elle consiste à rappeler, par un éclairage historique (l’histoire du droit d’auteur) et philosophique (la justification qui a été donnée de celui-ci par les juristes et les philosophes) ce qu’est ce droit, en quoi il est une pièce fondamentale de l’État de droit et pourquoi, aujourd’hui, il est devenu, aux yeux d’une partie de la population, si problématique. Ceci non pas pour faire de ce droit un absolu, non pour rejeter toute évolution et adaptation aux pratiques contemporaines du droit d’auteur et des « droits voisins », mais pour essayer de trouver une position équilibrée, un compromis entre diverses demandes, toutes légitimes (même si les arguments qu’elles invoquent peuvent être diversement convaincants).

A titre d’exemple, je développe dans le point suivant ci-dessous, une brève analyse qui pourrait trouver place dans ce que je viens d’appeler la deuxième tâche. Je n’aborde pas pour l’instant la première qui, comme je l’ai dit, est bien plus redoutable...

3. Comprendre la mise en cause contemporaine du droit d’auteur

Il ne s’agit ici que d’une ébauche d’argumentation, à partir d’une dizaine d’ouvrages sur cette question lus récemment, relevant de disciplines différentes.

Il me semble essentiel de commencer par rappeler l’histoire du droit d’auteur en France, depuis la Révolution, de montrer comment il a été défendu de manière acharnée par les philosophes, juristes, écrivains et artistes, tout au long du XIXe siècle. Ce droit d’auteur est inséparable de la liberté d’expression et de pensée : il encourage les arts en protégeant les créations. Dès l’origine, il a été pensé comme relevant de la protection du faible contre l’accaparement toujours possible. Il figure aujourd’hui dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948). Un point important au sujet de ce droit est qu’il a toujours été pensé, explicitement, comme un droit d’exception, c’est-à-dire une dérogation au principe général de la liberté du commerce et de l’industrie, puisqu’il accorde un monopole et des droits privatifs qui, opposables aux tiers, limitent leurs libertés (c’est pourquoi le souci de l’équilibrer avec le droit de la concurrence, de l’origine jusqu’à nos jours, en est un aspect essentiel). Enfin, dans la tradition française, ce droit d’auteur n’est pas justifié exclusivement par des considérations commerciales (il comporte deux dimensions, droit moral et droit patrimonial – dont la première est essentielle).
À partir de ce rappel, il me semble qu’il convient de montrer à quel point la contestation du droit d’auteur est étonnante, dans nos sociétés, et plus encore aux États-Unis (où elle prend des formes exacerbées, qui se réclament, confusément, soit de théories libertariennes soit du… communisme !). Il nous faut comprendre comment nous avons pu passer, en France, de la défense acharnée du droit d’auteur par Lakanal, par Lamartine, par Hugo, par tous les juristes et philosophes de la tradition républicaine, à l’idée selon laquelle le droit de propriété en matière de création est périmé (la contestation du droit à la vie privée est, elle aussi, étonnante : comment est-il possible qu’aux États-Unis – pays qui a défendu avec acharnement les libertés individuelles, tout au long de son histoire – un patron de Sun Microsystems puisse déclarer : « You already have zero privacy. Get over it » ?).
Comprendre cette contestation du droit de propriété est une tâche pluridisciplinaire. Je ne signale ici que quelques-unes des voies qu’elle pourrait prendre, en partant des interprétations les moins spécifiques (en ce sens que la contestation du droit d’auteur peut n’être que le symptôme d’une attitude beaucoup plus générale) pour aller vers les plus spécifiques (les conséquences des évolutions techniques d’Internet sur les comportements d’une part, sur les entités que sont l’œuvre et l’auteur de l’autre). L’idée qui sous-tend ces quelques remarques est qu’un phénomène social peut avoir de multiples significations, très différentes l’une de l’autre, et qu’il doit être traité, s’il doit être traité, à plusieurs niveaux.
Je vois trois causes non spécifiques de la contestation contemporaine du droit d’auteur :- (a) On peut comprendre cette contestation du droit d’auteur et de propriété comme n’ayant rien de spécifique, comme un cas peu original d’absolutisation de la technique. Puisque la technique le permet, le droit devrait le permettre. On trouve le même raisonnement en matière de génie biologique, ou encore de technique financière. Derrière le rejet des normes générales du droit d’auteur (ou de celles spécifiques à Internet), il y a souvent une croyance de même nature que la croyance en l’auto-régulation des marchés, c’est-à-dire la croyance selon laquelle la technique (un marché, Internet, une technique médicale, etc.) n’a pas besoin d’être régulée. Ou alors celle, tout aussi naïve, selon laquelle l’Internet massifié d’aujourd’hui va faire naître sa propre régulation interne (Perry Barlow, dans sa Déclaration d’indépendance du cyberspace : « Vous n’avez nulle connaissance de notre culture, de notre éthique, des codes non écrits qui régissent d’ores et déjà notre société »).

- (b) Un autre type d’analyse peut être utile pour comprendre le rejet contemporain du droit d’auteur, et plus généralement du droit de propriété (brevet d’invention, droit des marques, etc.). Ce rejet n’est pas toujours différent, en France en particulier, du rejet par certains de toute interdiction (contravention de stationnement, excès de vitesse, etc.). Jusqu’à une époque récente, le droit d’auteur n’intervenait pas dans la vie quotidienne de chacun, il relevait de la sphère publique. Avec Internet, il entre dans la vie de chaque individu. Rien d’étonnant à ce qu’il soit dénoncé, à partir d’une conception sommaire mais bien réelle de la liberté individuelle, comme une atteinte à la liberté, comme une répression, etc.
Toute une idéologie (dans sa version française ou américaine) du faible contre le fort peut alors se déployer : en pillant, on lutte, comme Robin des bois, contre les titulaires de droits, contre les grandes entreprises culturelles… Bref, la propriété, c’est le vol (le vol de quoi ? pourrait demander le logicien, si ce n’est d’une propriété qui ne peut pas être définie par le vol, l’idée de vol supposant que l’objet volé ait été légitimement détenu par son propriétaire – on ne peut pas voler un objet volé).

- (c) La contestation du droit d’auteur peut aussi être comprise à partir d’analyses psychologiques qui mettent en évidence l’importance du ressentiment, au sens que Nietzsche donne à ce terme, dans la culture démocratique contemporaine (Marta Nussbaum, dans son récent livre, "The Offensive Internet", a écrit de belles pages sur la carrière qu’ouvre Internet au ressentiment). La contestation du droit d’auteur peut relever d’un égalitarisme niveleur. L’écrivain n’existe plus, l’œuvre non plus, il n’y a plus que des individus qui s’expriment, et des individus également insignifiants. Pour revenir sur la phrase – à mes yeux effrayante – du patron de Sun Microsystems, « You already have zero privacy. Get over it », il est clair que s’y exprime une haine de l’individu, pour parler comme Nietzsche, qui rappelle fortement celle qui est au cœur des idéologies totalitaires, telles qu’elles ont été analysées par Hannah Arendt dans "Le Système totalitaire". Nous aurons sans doute, dans les années à venir, à lutter contre quelque chose qui ressemble déjà à un totalitarisme numérique (une certaine idolâtrie de la transparence en est une dimension essentielle), un totalitarisme qui pourrait se développer au sein même des sociétés démocratiques.

Deux autres causes me paraissent plus spécifiques que les trois précédentes :

- (d) On peut comprendre la contestation du droit d’auteur à partir de caractéristiques particulières des nouvelles techniques qui ont émergé avec le Web 2.0, qui tendent à effacer l’idée même d’œuvre dans l’esprit de certains internautes. Le fait que chacun puisse devenir un publi-lecteur rend difficile la compréhension des idées d’œuvre, d’auteur, d’originalité, de forme, etc. L’adolescent moyen qui partage illégalement une œuvre musicale ou littéraire confond facilement l’œuvre et ce qui est mis à la disposition d’un public anonyme. Derrière la pratique du piratage, il y a bien souvent cette idée : mon activité (blog, par exemple) et celle d’un écrivain, ou d’un musicien, sont du même ordre, elles relèvent de l’expres​sion(concept très délicat, qu’il faudrait analyser). Or une œuvre est, dans notre tradition culturelle et juridique, depuis le XIXe siècle, autre chose : elle suppose la reconnaissance, par la société, de la valeur, indissociablement culturelle (d’où la dimension morale du droit d’auteur) et marchande (d’où la dimension patrimoniale de ce droit) d’une activité. Un artiste n’est pas un auteur de blog, il ne s’exprime pas, à la différence de celui qui écrit un blog. Il construit un objet qui a des propriétés bien différentes de celles du texte d’un blog. Il s’adresse à un public qui n’est pas de même nature que le public lisant un blog.
Il faut évidemment prendre ici en considération, pour comprendre la contestation du droit d’auteur, ce qui est bien connu : tout ce qui, dans les pratiques de l’internaute, rend incompréhensibles, et même totalement invisibles, ce droit et les infractions à celui-ci. L’adolescent qui échange un fichier de musique dans sa chambre n’a pas immédiatement conscience d’être un contrefacteur. Il aurait peut-être conscience de l’être s’il entrait dans une salle de concert sans payer ou s’il volait un livre en librairie. Le fait que l’accès à l’œuvre ne suppose plus un déplacement physique est un fait important : l’internaute a l’impression fausse qu’il ne sort pas de sa chambre. Le piratage peut apparaître ainsi comme un effet pervers de la nécessaire démocratisation de l’accès aux œuvres.
Il en va de même avec la possibilité, de plus en plus fréquente, de modifier l’œuvre téléchargée. L’œuvre en est désacralisée (elle est réduite à un fichier, c’est-à-dire une série de 1 et de 0 dans laquelle on peut intervenir), elle finit par ne plus être perçue comme une œuvre.

- (e) On peut comprendre enfin la contestation du droit d’auteur, l’affaiblissement de celui-ci, non pas en rapport avec la technique en général, comme en (a) ci-dessus, mais en rapport avec des évolutions techniques particulières, qui ont eu pour conséquence la modification de ces entités que sont l’œuvre et l’auteur, modification dont témoigne l’évolution du concept juridique d’œuvre, qu’il est souvent bien difficile de distinguer aujourd’hui d’autres notions juridiques voisines.
La frontière est devenue floue, par exemple, entre œuvre de l’esprit (au sens juridique que cette expression prend dans le droit d’auteur) et œuvre d’information (dont le régime juridique est différent de celui des œuvres de l’esprit que sont l’œuvre littéraire ou musicale), comme en témoigne le statut ambigu de l’article de presse ou de l’interview (qui relèvent pourtant également du droit d’auteur). Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que le droit d’auteur se heurte au droit à l’information (qui relève du droit de la concurrence : ne pas autoriser la circulation d’une information est une entrave à ce droit).
Autre exemple : la frontière entre l’œuvre et le logiciel est devenue également floue (en France et au niveau européen le logiciel ne relève pas du brevet mais du droit d’auteur, qui a cependant été fortement adapté aux spécificités du logiciel, sur fond de débats juridiques intenses quant à la légitimité de cette classification du logiciel dans le droit d’auteur et le retour récurrent de l’idée selon laquelle le logiciel devrait relever du brevet ou, selon les partisans du logiciel libre, ne relever ni du droit d’auteur ni du brevet).
Autre exemple : l’œuvre numérisée, qui relève du droit d’auteur, modifie bien évidemment ce dernier, en brouillant considérablement le concept d’œuvre (la numérisation peut par exemple affecter l’intégrité de l’œuvre – via l’interactivité, par exemple ; ou encore ce que les juristes nomment « l’esprit de l’œuvre » – lorsque l’œuvre numérisée est intégrée dans un produit multimédia où coexistent plusieurs œuvres, un site par exemple ; ou encore l’exercice du « droit de retrait » et du « droit de repentir » qui sont des composantes importantes du droit d’auteur).
Dernier exemple : la généralisation, dans la dimension patrimoniale du droit d’auteur, des licences légales – c’est-à-dire des licences obligatoires, qui sont des contrats forcés avec un tiers, imposés à l’auteur par le législateur (phonogrammes, copies privées assorties de rémunération, droit de reproduction par reprographie, droit de prêt en bibliothèque, etc.), contrats forcés qui sont autant de limitations imposées au droit d’auteur par le droit de la concurrence – brouille considérablement les catégories sur lesquelles repose le droit d’auteur (le droit d’autoriser et d’interdire l’exploitation de l’œuvre, de fixer la rémunération de cette exploitation, etc.). (Sur les licences légales dans le rapport au droit d’auteur, on peut lire les remarquables pages 242 à 244 dans le livre de C. Caron déjà cité).

Résumons-nous : les évolutions techniques n’ont pas rendu caduc le droit d’auteur, dans ses dimensions morale et patrimoniale, mais suscité un intense débat juridique qui soumet les concepts du droit d’auteur à une forte tension (en particulier du fait que le droit d’auteur doit, plus que jamais, composer avec le droit de la concurrence, du fait du caractère mixte des œuvres de l’esprit, c’est-à-dire du caractère douteux de l’originalité de certaines « œuvres de l’esprit »).

On comprend que l’utilisateur moyen soit un peu perdu lorsqu’on invoque la protection des œuvres littéraires et musicales…

En guise de conclusion

Il me semble que la contestation du droit d’auteur peut être interprétée de multiples manières et qu’il faut y répondre de multiples manières. Elle relève aussi bien d’une idéologie technicienne (a), d’une conception anarchisante sommaire de la liberté individuelle (b), d’un mécanisme psychologique proche de ce que Nietzsche a appelé le ressentiment (c), de l’émergence de nouvelles pratiques qui rendent peu compréhensives l’idée d’œuvre (d) et enfin de profondes modifications affectant ces entités que sont l’œuvre et l’auteur, dont témoignent les évolutions et les hésitations du droit (e).
Aux niveaux (a), (b) et (c), la contestation du droit d’auteur me paraît appeler des analyses sociologiques, psychologiques et philosophiques visant à réfuter les conceptions sommaires et contestables sur lesquelles elle repose. Cette contestation, à ces trois premiers niveaux, n’est à mes yeux qu’un symptôme de plus du populisme que toutes les démocraties sécrètent, comme Tocqueville l’a mis en évidence, populisme qui les ronge de l’intérieur.
Au niveau (d), la contestation du droit d’auteur me paraît appeler d’une part un vigoureux effort pédagogique (les citoyens, même les plus jeunes, sont bien plus intelligents qu’on ne le pense et peuvent comprendre ce qu’ils ne perçoivent pas immédiatement) et un vigoureux effort juridique pour trouver les compromis entre les nouvelles pratiques (qui sont un fait, quels que soient les jugements de valeur qu’on porte sur elles) et la protection du droit d’auteur.
Au niveau (e), le plus passionnant et le plus difficile à traiter, c’est aux représentants du peuple, en relation étroite avec les citoyens, les experts et les institutions spécialisées, à prendre la mesure des modifications très rapides que connaissent les entités comme l’œuvre et l’auteur, afin de faire évoluer le droit, de manière à trouver les compromis nécessaires entre les créateurs et les utilisateurs (en tenant compte du fait que la frontière entre ces deux catégories tend à s’effacer). Sans cet effort d’innovation, deux dangers me semblent guetter Internet. Soit l’anarchie que j’ai nommée plus haut totalitarisme numérique, soit – et cela me paraît le plus probable et le plus dangereux – une fermeture progressive d’Internet par des dispositifs techniques non génératifs (pour parler comme J. Zittrain dans The Future of Internet), par exemple par la généralisation des « tethered applications ». La norme du droit me semble devoir toujours être préférée à la norme technique (qui n’est pas une norme, mais un fait, comme le fait remarquer Paul Mathias dans Des libertés numériques, page 20).
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